Les Liane : vraiment du haut niveau de service ?
Le réseau urbain de Lille compte 6 Liane (lignes de bus à niveau élevé de service) : 4 urbaines et 2 suburbaines. Mais pour celui qui emprunte régulièrement ces lignes, la question se pose réellement de savoir en quoi le niveau de service est plus élevé là qu’ailleurs.
La présentation officielle des Liane dit d’elles qu’elles cumulent "les avantages respectifs du bus et du tramway" avec un niveau de service exceptionnel : facilité, confort, accessibilité, respect de l’environnement. Mais qu’en est-il réellement sur le terrain ?
Facilité et confort
Les arguments : écrans video à bord des bus avec annonces sonores des arrêts ; aux principaux arrêts, écrans affichant le temps d’attente pour les prochains bus. Temps d’attente réduits grâce à des fréquences et une amplitude plus élevées. Arrêts plus confortables.
Même s’il est vrai que les bus affectés aux Liane présentent un bon niveau de confort (articulés, écran vidéo à bord indiquant les prochains arrêts et annonces vocales), il n’en reste pas moins que d’autres lignes font également usage de véhicules modernes (la ligne 12 par exemple) comme la dernière livrée des Citelis d’Irisbus, tous dotés de l’annonce vocale des arrêts à bord. Et tous les véhicules du réseau disposent de bandeaux lumineux à bord indiquant le nom du prochain arrêt. Le seul avantage des Liane de ce point de vue, c’est la quasi-garantie de voyager tout le temps à bord de véhicules identiques et confortables.
Quant aux fréquences plus élevées et à l’amplitude horaire plus importante, encore une fois un certain nombre d’autres lignes présentent les mêmes similitudes (comme les lignes 10, 11 et 12 qui ne sont pourtant pas des Liane). En heures de pointe, c’est un bus toutes les 8 à 10 minutes sur les Liane. Après 21h, c’est toutes les 20 minutes, et après 22h c’est toutes les 30 mn. Peut-on vraiment parler de fréquence élevée qui se rapprocherait de celle d’un tramway ?
Accessibilité
La quasi-intégralité des bus du réseau Transpole sont à plancher bas et disposent de plateau amovible pour les fauteuils roulants. Pas besoin d’être à bord d’une Liane pour profiter de ces avantages donc.
Respect de l’environnement
Le fait de rouler au gaz n’est pas une exclusivité des Liane puisque la quasi-intégralité des bus du réseau roulent avec ce carburant (les bus diesel ont quasiment disparu du parc).
Les avantages non évoqués
Ce qui est étonnant, c’est qu’il ne soit pas question de la vitesse commerciale des Liane. Car c’est pourtant un des points essentiels sur lesquels un Bus à Haut Niveau de Service est attendu ! Les spécifications en la matière sont d’ailleurs très claires et citent également deux éléments ici totalement absents : la régularité et le temps de parcours. Et la question que l’on se pose c’est : à quoi sert-il de faire des sites propres (couloirs dédiés) s’il n’y a pas de priorité aux feux à ces endroits-là ? Il est simple de se rendre compte, en voyageant à bord des Liane, qu’il n’y a pas réellement de priorité aux feux. Mais une étude in-situ permet de le vérifier à l’aide de chiffres précis, et c’est ce que nous avons fait.
Le 15 février 2013, nous avons effectué deux trajets à bord de la Liane 1. Voici le constat qui en ressort :
Premier trajet : Ronchin Destoop / Lille Colpin
L’avantage de ce trajet, c’est qu’il est essentiellement en site propre (à Ronchin et à Lille) et qu’il devrait donc afficher une vitesse commerciale élevée. Or, ce n’est pas vraiment le cas.
La vitesse moyenne sur ces 5,7 km a été de : 13 km/h. Le trajet a duré 26 mn en tout, pendant lesquelles nous avons été arrêtés aux feux rouges pendant 7mn10 et nous avons perdu 1mn25 lors d’un contrôle des titres de transport. Si on fait abstraction du temps perdu lors du contrôle, nous avons passé environ 30% de notre temps arrêtés à des feux. Si nous avions eu tous les feux au vert, la vitesse moyenne aurait été de 18 km/h (+ 38%, ce qui est énorme).
Second trajet : Lille Champ de Mars/Lille Liberté
Ce trajet est entièrement en site propre sur l’avenue de la Liberté, mais il y a pas mal de carrefours et donc des feux. Et comme la priorité aux feux n’est pas à la hauteur de ce qu’elle devrait être, la vitesse moyenne a été de 13,5 km/h. Nous avons eu 4 feux sur 9 au rouge et avons passé 1mn50 arrêtés aux feux rouges (sur un trajet de 7mn, soit 26% du temps). Nous avons perdu 35 secondes en raison d’un camion arrêté au milieu du couloir de bus, et nous avons eu encore deux autres véhicules à éviter car ils étaient également arrêtés en plein couloir de bus.
Conclusions
D’autres relevés que nous avions effectués montrent que la vitesse commerciale sur le Boulevard de la Liberté varie entre 8 et 14 km/h selon le niveau de chance que l’on a avec les feux... Et c’est justement ce côté non déterministe qui pose problème. Un problème de priorité aux feux qui n’est d’ailleurs pas spécifique à la Liane 1. Prenons un autre exemple flagrant : le couloir de bus de la Liane 2 à proximité du CHR. A hauteur du siège de Bayer, il y a 2 feux distants d’environ 400 mètres. Et ces 2 feux sont extrêmement mal réglés puisqu’ils font d’abord passer les voitures situées sur les contre-allées parallèles à la voie de bus et que le détecteur de présence dans le couloir ne donne pas la priorité aux bus ; il n’a pour seule action que d’intégrer la voie de bus dans le cycle de feux du carrefour quand un bus se présente. Il est donc tout-à-fait fréquent de devoir attendre pas loin d’une minute au feu rouge à cet endroit. Pour bien comprendre le phénomène, voici une video d’illustration, dans laquelle l’attente reste moyenne et n’est pas la pire que l’on puisse constater (c’est dire !).
Des mesures ont été annoncées récemment pour l’été 2013 afin d’améliorer le système de priorité aux feux sur le Boulevard de la Liberté à Lille. Mais ceci n’est pas suffisant comme nous venons de le voir au travers de cet article, il faut également traiter l’ensemble des sites propres des Liane et, encore mieux, mettre en place un vrai plan de gestion des priorités aux carrefours à l’échelle de l’agglomération (y compris en-dehors des sites propres), plan auquel l’ensemble des maires des communes concernées doivent participer activement ! A l’heure où les grands projets d’infrastructure sont plutôt à l’arrêt (exemple : le tram-train, seule exception : le doublement des rames du métro), et qu’une bonne partie des moyens est mise sur le réseau de bus, il est impératif d’augmenter leur vitesse commerciale pour les rendre attractifs. D’ailleurs, une vitesse commerciale qui augmente entraîne une diminution des coûts d’exploitation puisqu’on rentabilise mieux la flotte. Et cette diminution permet d’amortir le coût de mise en place et d’entretien du système.
Autres pistes pour augmenter la vitesse commerciale des bus
Réduire le temps passé à vendre des titres de transport à bord. La mise en place de la nouvelle billettique, et les facilités qu’elle apportera pour acheter ses titres à distance, serait le moment idéal pour mettre en place la mesure que nous proposons : augmenter le prix des titres unitaires vendus à bord (2 euros par exemple, au lieu de 1,50 euro).
Aux heures de pointe, ne plus indiquer d’horaire précis aux arrêts mais une fréquence (un bus toutes les 8 minutes par exemple). Cela éviterait aux conducteurs de réguler (attendre à un arrêt) quand ils sont à l’avance. Les horaires sont établis en fonction des plus mauvaises conditions de circulation et quand on a des bonnes surprises sur la route, autant en profiter plutôt que de s’arrêter régulièrement pour se caler sur des horaires pas toujours optimaux. Quand la fréquence est plus basse, cette mesure n’est évidemment pas applicable pour ne pas faire attendre les passagers trop longtemps aux arrêts.
Ouvrir systématiquement les deux demi-portes avant des bus ainsi que les portes arrières pour accélérer les montées à bord (et disposer des composteurs à tous ces endroits)
Traiter les "points noirs", comme par exemple certains carrefours où les bus ont des difficultés à tourner en raison de barres d’arrêts de feux trop avancées, ou encore empêcher le stationnement sauvage sur certains trottoirs qui créent des rétrécissements de chaussée et imposent aux bus de s’arrêter pour laisser passer les véhicules du sens opposé. Une implication des maires de l’ensemble des communes est ici indispensable.
Un étude intéressante de l’UITP sur la priorité des bus dans le trafic (en anglais) : http://www.trg.soton.ac.uk/research...
Un autre document intéressant sur la priorité aux feux pour les bus (il date un peu mais vaut tout de même la peine d’être lu) : http://www.stif.info/les-developpem...