Fraude au stationnement et dans les transports publics : même combat ?
La loi MAPAM (Modernisation de l’Action Publique territoriale et d’Affirmation des Métropoles), qui prévoit entre autres la dépénalisation du stationnement, a été adoptée le 19 décembre 2013. C’est l’occasion pour nous de revenir sur les enjeux croisés de la lutte contre la fraude au stationnement et dans les transports publics.
On parle beaucoup de la fraude dans les transports publics...
En effet, on entend fréquemment un discours alarmiste à propos de cette fraude. Lors des récentes Rencontres Nationales du Transport Public (les 27/28/29 novembre 2013 à Bordeaux), le Président de Keolis a prévenu qu’il fera de la lutte contre la fraude, sa « priorité » pour 2014. Jean-Pierre Farandou précise même que : « la ville de Lille sera notre priorité car, suite à la mise en place de la nouvelle billettique, nous avons constaté une forte augmentation de la fraude » (1). Pour l’entreprise de transport public, cela représenterait 600 millions d’euros par an de manque à gagner dans les différents réseaux qu’elle exploite, dont 9 millions pour Transpole ; de coquettes sommes qui méritent naturellement une forte attention. Le taux de fraude moyen dans les réseaux de transport public est estimé à 10% (1) et peu atteindre 20 à 30 % dans les plus mauvaises situations.
... mais on parle moins de la fraude au stationnement !
Alors que la dépénalisation devient enfin une réalité, on entend rarement parler de la fraude au stationnement, assez mal quantifiée. Les estimations les plus courantes parlent de 30 % à 35% d’automobilistes… qui paient dûment leur stationnement en voirie. Le taux de fraude atteint donc 70% et même 80% dans les grandes agglomérations tandis que Paris compterait 90% de fraudeurs !(2)
Comparé aux automobilistes, les usagers des transports publics font plutôt figure de bons payeurs !
Pourquoi ? Peut-être parce que les sanctions sont très différentes. Le tarif de l’amende forfaitaire de stationnement de 1er catégorie (stationnement payant non réglé) est fixé à 17 € depuis 2011 (décret n° 2011-876 du 25.7.11), auparavant c’était 11 € (3). Le contraste est saisissant avec l’amende dans les transports publics : pour le réseau lillois Transpole, il faut régler (chiffre juin 2013) 32€ pour un titre non valable et 48€ pour un défaut de titre de transport… en cas de paiement immédiat ! Le tarif s’envole à 70€ et 86€ en cas de paiement différé (4). Pour les amendes de stationnement, le délais de paiement est de 45 jours (ou dans les 60 jours en cas de paiement par une téléprocédure). Ces sanctions inéquitables témoignent du « deux poids, deux mesures » alors même que l’on cherche à inciter les citoyens à prendre davantage les transports collectifs.
Tarif unitaire/horaire | Taux de fraude moyen | Montant de l’amende en cas de non paiement | Délai de paiement de l’amende | |
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Transports publics | 1,50€ (Transpole, hors abonnement) | 10% (National) | 48€ (Transpole) | Aucun (Transpole) |
Stationnement | 0,85/1,90€ (selon zone, Lille) | 70% (National) | 17€ (National) | 45 jours (National) |
De plus, les amendes de 1er catégorie « stationnement payant non réglé » ne font pas la différence – contrairement aux TC – entre l’absence de paiement et le dépassement de la durée autorisée qui, en pratique, est peu ou pas verbalisé de l’aveu même des forces de l’ordre. Ajoutons aussi que les usagers des TC peuvent être sanctionnés tous les jours alors que le stationnement payant est souvent limité dans le temps : le midi, le soir, les week-end, certains mois de l’année … Enfin, de nombreuses amendes de stationnement sont souvent impayées, surtout à la veille d’élections municipales, comme en témoigne le cas extrême du maire de Biarritz qui a abusivement annulé des milliers de contraventions depuis 2009 (5). Même si les impayés existent aussi pour les amendes de transport collectif, les élus sont moins réceptifs à l’annulation de ces prunes-là…
A partir de 2016, la loi MAPAM permettra aux maires de fixer à la fois le prix du stationnement sur voirie et l’amende pour non paiement du stationnement – en réalité un « forfait de post-paiement » puisque le non-paiement n’est plus une infraction pénale (d’où le terme dépénalisation) (6). C’est une étape très attendue et importante mais qui peut paraître encore largement incomplète (gestion communale, plafonnement du "forfait de post-paiement", etc.). En envisageant à terme un changement d’échelle de la dépénalisation du stationnement, on peut dresser des perspectives ambitieuses de régulation globale de la fraude. Imaginons une mise en cohérence de la tarification du stationnement et de son contrôle avec les autres politiques locales de mobilité.
Pourquoi ne pas fusionner et renforcer la police du stationnement et les agents assermentés de l’opérateur de transport public pour assurer un véritable contrôle de la mobilité et de l’espace public ?
Ces agents pourraient circuler dans l’espace public et verbaliser autant l’usager des TC voyageant sans ticket que l’automobiliste ne payant pas son stationnement sur la voirie ou stationnant sur le trottoir/la bande cyclable/le passage piéton. Les sanctions pourraient aussi être mises au même niveau à savoir 32€ en cas de titre non valable ou en dépassement horaire et 48€ en cas d’absence de titre avec un délai un peu plus souple de paiement. Le courage politique sera bien sûr nécessaire dans un contexte où certaines associations d’automobilistes crient déjà au scandale (7).
Dans le cas de Lille Métropole, imaginons donc une police de la mobilité intercommunale (pour éviter le stress politique communal et le jeux pervers des PV impayés) sous pilotage d’une véritable Direction de la Mobilité (voir notre PROPOSITION N°2013/004), verbalisant à un tarif équivalent la fraude à la mobilité. Les recettes permettraient d’alimenter les politiques de mobilité durable. Une ambition à la mesure de l’enjeu de pacification de l’espace public !
(1) http://www.20minutes.fr/bordeaux/12...
(2) http://www.lesechos.fr/entreprises-...
(3) http://www.leparticulier.fr/jcms/c_...
(4) http://www.transpole.fr/fr/pass-pas...
(5) http://www.lexpress.fr/actualite/po... (6) http://www.mobilicites.com/fr_fil-d...
PROPOSITION N°2014/001 (février 2014) : étudier l’opportunité de lutter contre la fraude en fusionnant les agents de contrôle du stationnement et ceux des transports publics.