La "mobilité courante" selon François Ferrieux

Publié le 19 avril 2013

François FERRIEUX est Président de la Commission Transports du Conseil Général de l’Oise. Il est également Président de Oise Mobilité, le Syndicat Mixte des transports de l’Oise, au sein duquel il a bataillé ferme pour mettre en place un système d’information multimodale (SIM) performant à l’échelle de tout le département. C’est de ce sujet qu’il va nous parler ici, à savoir de l’impérieuse nécessité d’unifier des sources d’information aujourd’hui trop souvent dispersées et qui fonctionnent en silos.

Chacun, dans son activité quotidienne est amené à se déplacer tout près ou plus loin de chez lui. Intéressons nous aux déplacements domicile-travail, domicile-études ou domicile-services. Il est clair que la possibilité de limiter dans l’espace et la durée ces déplacements récurrents est un but poursuivi par les individus, les familles et les pouvoirs publics. Mais le réalisme oblige à rappeler que les contraintes de la société organisée conduisent pour longtemps encore beaucoup d’entre nous à se déplacer au-delà de ce qui peut être fait raisonnablement à pied. A partir de là on peut constater que les choix d’itinéraires et de moyens sont largement orientés par des contraintes semblant incontournables (et le sont souvent…).

Mettons à part le cas de l’Ile de France et de quelques grandes agglomérations (aux réseaux denses et interconnectés de transports en commun). Parlons de la France des territoires, urbains, rurbains ou ruraux : dans beaucoup de petites villes, on peut adopter le plus souvent la marche à pied ou en vélo. Mais c’est loin d’être le cas partout. Souvent force est de constater que les déplacements récurrents nous amènent à sortir des limites communales. De ce fait l’utilisation massive de la voiture (souvent voiture-solo) est encore jugée nécessaire (parfois plusieurs voitures par famille).

A partir du cas d’un département mi-rural, mi-urbain (l’Oise), assez représentatif de la France des territoires (hors R.P. et grandes agglos), essayons de mettre à plat l’ensemble de la problématique de ces déplacements récurrents : il sont loin d’être majoritairement en transports en commun. Interrogeons les « migrateurs » sur les motivations de ce choix à contre-courant des volontés affichées d’économie de pétrole, de lutte contre les gaz à effet de serre, toutes les pollutions, ou simplement de l’intérêt du porte-monnaie ; ils répondront d’abord : la liberté. C’est incontournable. Tout moyen alternatif aura à prouver que cette liberté, malgré les contraintes, peut ne pas être complètement bafouée. La deuxième réponse est : « il n’y a pas de transports en commun pratiques pour moi ». C’est parfois vrai, mais il arrive que les AOT aient anticipé et développé quelque chose. Dans ce cas notre « migrateur » peut ne pas avoir été mis en contact avec l’information, ou représenter un cas spécial par rapport à nombre d’autres pour lequel le service nouveau a été mis en place… Il est difficile de s’adapter au cas de chacun. Notons toutefois que le développement massif du « transport à la demande » un peu partout ouvre une perspective intéressante en milieu rural ou périurbain, y compris vers les zones industrielles aux horaires les plus excentrés. D’une manière générale les collectivités locales s’investissent progressivement dans l’amélioration des déplacements de leurs administrés, mais rechignent à en assumer le coût.

Supposons toutefois qu’une telle collectivité « volontariste » décide de mettre le paquet sur ses transports. Est-elle assurée que ses concitoyens seront plus nombreux à laisser la voiture à la maison ? Ceux dont le déplacement ne sort pas des limites de l’AOT seront les bénéficiaires de cette action ! Mais les autres ? Autrement dit : quid des déplacements nécessitant plusieurs modes ?

Essayons sur un exemple : une personne souhaite aller à son travail du point A au point B. Ces deux points ne relèvent pas de la même AOT, son voyage nécessitera donc l’utilisation de deux moyens (par exemple un car interurbain puis un bus urbain). Plusieurs faits peuvent l’inciter à préférer « prendre sa voiture » :

- L’un des deux trajets n’a pas fait l’objet d’une amélioration récente ou d’une tarification non dissuasive
- La correspondance horaire laisse à désirer (ou l’information sur celle-ci)
- Nécessité de se procurer deux titres de transport

En admettant que chacune des AOT aient fait le maximum pour « sa partie », dans notre cas cela n’aura servi à rien …

Si le choix final est « ma voiture » c’est que celle-ci n’a pas de problème d’intermodalité ; cette absence de problème se paye par un coût énorme (en termes de temps perdu dans les embouteillages, d’atteintes à l’environnement local et global, et d‘atteintes au portefeuille).

Un service public de mobilité presque aussi facilement accessible que l’est l’eau courante

Et si on pouvait rendre possible à tout individu l’usage d’un service public de mobilité (en évitant tant que se peut la voiture-solo) presque aussi facilement accessible que l’est l’eau courante ? Vous ouvrez le robinet, l’eau coule, et si elle s’arrête de couler c’est que vous avez fermé le robinet. Se battre pour obtenir cela en matière de mobilité, c’est cela la recherche de la « mobilité courante ». Les conditions pour l’atteindre sont peut être difficiles à réunir, mais c’était le cas pour « l’ eau et le gaz à tous les étages du 19e siècle », puis plus tard l’électricité, le téléphone, l’ADSL et bientôt le très haut débit. Ce n’est pas parce qu’on n’égalera pas facilement la liberté de la voiture solo, que la bataille est perdue pour les autres modes (objectif de la « mobilité durable » défendue par le GART).

Notre expérience de l’Oise nous a incité à rechercher les conditions pour que l’alternative à la voiture-solo progresse : prendre conscience du nombre élevé de déplacements formant une chaîne à plusieurs maillons et que personne, à l’heure actuelle, ne se préoccupe de la chaîne dans sa totalité. La conséquence est que, même si chaque AOT met un point d’honneur à fournir un maillon optimisé, le meilleur possible, cela peut, pour certains voyageurs (réels ou potentiels) être parfaitement inopérant dès qu’il y a un deuxième maillon (et s’il y en a un troisième, alors là…). Puis décider, ensemble (entre les AOT responsables des maillons), de la manière d’articuler de manière continuellement lubrifiée les maillons entre eux. La structure de coopération nécessaire peut être « associative », conventionnelle ou structurelle (Syndicat mixte SRU). Même si les deux premières formules ont pu mener des opérations à succès sur l’un des aspects de l’intermodalité, il faut bien reconnaître que la troisième a fait preuve d’une efficacité et d’une réactivité étonnante dans le cas des syndicats SRU et particulièrement avec l’exemple souvent cité de du Syndicat Mixte des transports collectifs de l’Oise (« Oise-Mobilité »), et de son produit phare : le Système Intégré des services à la Mobilité de l’Oise (S.I.S.M.O.).

Constater ensemble c’est bien, tenter de remédier aux grippages en créant de nouvelles offres souvent locales c’est mieux pour que l’eau veuille bien couler du robinet… C’est tout l’intérêt d’un systéme d’informations à double flux. Un systéme intégré (avec notamment information multimodale garantie en temps réel, mais aussi billetique harmonisée) permet à la fois à l’usager d’optimiser son déplacement (y compris en cas de perturbations) et au décideur de… décider s’il y a lieu de mobiliser des moyens nouveaux afin de garantir au plus grand nombre « la mobilité courante ». Bien entendu, plus le nombre d’usagers potentiels est important, plus l’on sera incité à agir… Le rôle des calculateurs d’itinéraire en transports en commun est capital s’il permet une étude statistique des chaînes demandées et du degré de satisfaction du demandeur. Par ailleurs, le choix que feront après l’Oise d’autres départements ou régions de fusionner les données du covoiturage et des calculs d’itinéraires classiques fera avancer la « mobilité courante » et « boostera » d’ailleurs le covoiturage classique souvent confiné à certaines clientèles (jeunes, branchés ou salariés ayant une longue pratique de covoiturage d’atelier). Même des mamies commencent à s’intéresser au covoiturage depuis qu’en réponse à une demande d’itinéraire classique car/train/bus on lui a suggéré un covoitureur.

Pour conclure : quelle nuance entre mobilité courante et mobilité durable ?

Les deux supposent le choix d’une alternartive à la voiture solo. Mais la mobilité courante se veut être un droit nouveau qui parfois, pour être rempli, nécessite des moyens politiquement moins corrects (T.A.D., prêt de scooters, etc…) ou nécéssité de garder un chaînon « voiture solo »… On cherchera bien sûr à minimiser l’importance… mais ce sera quand même une meilleure solution que la voiture-solo sur toute la chaîne (très largement répandue en milieu rural et même périurbain !). Le but du concept de mobilité courante (repris par le sénateur KRATTINGER dans son rapport sénatorial sur « les collectivités locales et les transports ») est une prise de responsabilté collective par les AOT de la fluidité de l’ensemble des chaînes, ce qui les oblige à coopérer.

Le calculateur d’itinéraires de Oise Mobilité : http://www.oise-mobilite.fr/


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